Interview de Gilbert Marc, créateur du dictionnaire français-chinois-anglais du vin.

Creation d’un dictionnaire français-chinois-anglais sur la vigne

1- Pouvez vous vous présenter… 

Je m’appelle Marc Gilbert, je suis aujourd’hui responsable du Fonds chinois de la Bibliothèque municipale de Lyon qui comprend, entre autres 60 000 documents, les archives et la bibliothèque de l’Institut franco-chinois de Lyon (1921-1946). Ce sont sans doute ces documents et l’histoire qu’ils racontent, qui ont fait de Lyon, en mars 2014, la première étape du voyage officiel du président Xi Jinping en Europe.

A cette occasion, une exposition a été installée dans l’ancienne salle des fêtes de l’Institut et j’ai eu l’honneur de la présenter en chinois au président XI, puis à d’autres personnalités chinoises de haut rang venues à Lyon dans le sillage du président : madame Liu Yandong, vice-premier ministre, monsieur Zhao Hongzhu, secrétaire adjoint de la Commission centrale de contrôle de la discipline du Parti communiste, etc..

Je suis également traducteur indépendant chinois-français.

Je suis arrivé en Chine à l’âge de 18 ans. Durant deux ans, j’ai étudié le chinois, puis j’ai intégré le cursus de quatre ans du département de Lettres de l’Université de Pékin. Diplômé en 1998, je suis rentré poursuivre mes études à l’INALCO.

A cette époque, j’ai connu ma première expérience lexicographique, contribuant à l’élaboration et au colossal travail de relecture du Grand dictionnaire Ricci de la langue chinoise. Ce fut une école de rigueur qui m’a beaucoup apporté, notamment dans la réalisation de mon dictionnaire.

J’ai ensuite eu l’occasion de travailler deux années à Taïwan, comme assisant de recherche, puis au Japon où j’ai enseigné le français pendant 7 ans, avant de rentrer en France en 2010.

 

2- Pouvez vous présenter votre nouveau service… 

S’il ne s’agit pas encore d’un service – à ce stade je suis à la recherche d’un éditeur – , on peut toutefois certainement parler d’un projet lexicographique ambitieux, réalisé en trois langues : le Dictionnaire français-chinois-anglais de la vigne et du vin.

Deux parties constituent ce travail.

La première rassemble plusieurs milliers d’entrées interrogeables en français, chinois et anglais. Ces entrées (estimées à 6 000 pour le français) sont le résultat d’une sélection. Elles couvrent les domaines de la botanique, de la chimie, de la dégustation, de l’entomologie, de l’œnologie, de la tonnellerie, de la vinification, de la viticulture, etc. Le cas échéant, une indexation thématique est donnée pour une compréhension immédiate des termes.

Pour plus de précision, dans les domaines de la botanique, de la chimie (biochimie) ou encore de l’entomologie, les noms scientifiques et les formules chimiques (nomenclature IUPAC) ont été ajoutés.

Pour le chinois, la prononciation des caractères est notée selon le système du pinyin.

La seconde partie regroupe les annexes. Au nombre de quatre, elles font échos à la première partie du dictionnaire par un système de renvois qui invitent à leur consultation.

La première annexe est consacrée aux cépages. Elle liste les cépages inscrits au Catalogue officiel des variétés de vigne. Pour chaque cépage, une transcription phonétique en caractères chinois ou une traduction est donnée. D’éventuels transcriptions alternatives ou synonymes officiels, la couleur, l’utilisation et l’époque de maturation sont aussi précisés.

La seconde annexe liste les AOP et les IGP. Pour chaque appellation ou indication, une transcription phonétique en caractères chinois est donnée. Les régions de production et l’encépagement sont ensuite précisés.

La troisième annexe rassemble les grands crus d’Alsace, les grands crus et premiers crus de Bourgogne, les grands crus classés en 1855 Médoc et Sauternes, les crus classés de Graves, les crus classés de Saint-Émilion, les crus de Cognac, etc.

La dernière annexe, est consacrée aux contenants, futailles et bouteilles.

 

3- En quoi va t il révolutionner le marché ? 

L’ambition de cette initiative est d’offrir une base lexicographique commune à tous les professionnels et amateurs de vin.

En effet, le besoin de communication a, au fil du temps, généré un vocabulaire nombreux, parfois imprécis, souvent broussailleux. Le foisonnement des transcriptions phonétiques en usage à ce jour dans le monde sinophone illustre cette confusion : pour une même appellation, un même cépage ou encore un même château, la liste des transcriptions phonétiques peut être impressionnante.

Il devenait nécessaire d’ordonner cette terminologie et c’est dans cette perspective que ce travail a été mené.

Il ne s’agit certes pas du premier outil lexicographique à voir le jour dans ce domaine.

En 1963, l’OIV publiait en effet un lexique de la vigne et du vin comportant six langues : français, italien, espagnol, allemand, portugais, anglais et russe.

Toutefois, mon travail constitue bien un projet unique : sans doute le premier ouvrage trilingue de cette technicité et de cette ampleur, contemporain et incluant le chinois.

Il ne manquera pas de rencontrer son public.

4- A qui s’adresse ce dictionnaire ? 

Depuis plusieurs années, l’importation, la production et la consommation de vin se développent en Chine. Cet intérêt grandissant dynamise les investissements chinois et étrangers dans les différentes régions de production ; il stimule les échanges, économiques bien sûr, mais aussi professionnels, scientifiques ou encore techniques ; il contribue également à l’essor du tourisme le long des routes des vins. Il est aussi l’occasion de faire connaître notre culture et un mode de vie à la française dont le vin est un excellent véhicule.

Ce dictionnaire est donc destiné à quiconque s’intéresse au vin et à la langue chinoise : producteurs, amateurs, négociants, commerciaux, inter-professions, restaurateurs, étudiants, chercheurs, œnologues, professionnels du tourisme, institutions culturelles, etc.

Le public potentiel est d’autant plus large que ce dictionnaire s’adresse non seulement au marché chinois, mais aussi mondial. L’intégration de l’anglais à ce travail devrait permettre de toucher également le marché des vins du nouveau monde.

 

5- Qu’en pensent les professionnels du vin?

J’ai eu l’occasion d’exposer ce projet à plusieurs professionnels : l’accueil est positif ! Je voudrais évoquer ici deux francs soutiens qui pressentent bien le rôle que ce dictionnaire est amené à jouer.

 

Le premier est celui de Renée Payan. Directrice de l’Université du vin de Suze la Rousse qui chaque année compte un nombre certain de Chinois dans ses rangs. L’Université du vin entretient des contacts avec diverses institutions chinoises pour former les professionnels à la dégustation des vins, à l’analyse sensorielle, et plus largement à la culture du vin. Madame Payan connaît donc très bien les enjeux de la filière et par conséquent la nécessité de définitions communes pour une compréhension du vin, dans sa globalité et sa pluridisciplinarité. Elle a accepté de signer la préface de ce dictionnaire et je l’en remercie sincèrement.

 

Le second est celui de Françoise Carrot-Diament, consultante en vins à Lyon et Shanghai. Madame Carrot-Diament connaît The French wine glossary édité par Sopexa, il y a quelques années. Si elle reconnaît son exhaustivité pour ce qui est des traductions des appellations françaises, elle constate néanmoins son insuffisance à offrir une connaissance plus large de la vigne et du vin auprès des professionnels et amateurs en Chine.

Selon Françoise Carrot-Diament, la demande est forte de la part des professionnels chinois, compte-tenu du nombre insuffisant d’ouvrages sur le sujet et des traductions réalisées, jugées parfois fantaisistes par les spécialistes chinois.

Le fait qu’elle considère nécessaire et urgent, pour les professionnels du vin (Douane, importateurs, distributeurs, équipes de vente, négociants, etc.), d’avoir un vrai outil de travail, cohérent et large sur les sujets traités, mais surtout fiable quant aux traductions, laisse présager qu’éditeurs et professionnels de la filière seront convaincus du rôle que ce dictionnaire jouera dans la diffusion en
de la culture du vin.

Je la remercie pour l’aide qu’elle m’apporte dans ce projet éditorial.

 

6- Que pensez vous du marché du vin en Chine ?

vinsN’étant pas sur le terrain, je suis un observateur éloigné de ce marché. Mes premiers constats sur le sujet datent des années 1990, époque où ce secteur de la production et du marché chinois attirait moins les regards. Les choses ont évolué depuis : augmentation de la production nationale, élargissement non seulement de l’origine géographique des importations, mais aussi du public cible avec la montée des classes moyennes, diversification des appellations françaises présentent sur le marché, etc.

Toutefois, certains réflexes de consommation sont toujours prégnants, 25 ans après : préférence pour le vin rouge, le Bordeaux lorsqu’il vient de France, tendance à le mélanger avec des sodas, etc.

 

En même temps que le produit, c’est notre culture du vin, notre mode de vie et notre convivialité qu’il faut introduire et diffuser en Chine, notamment auprès des classes moyennes. J’imagine que le projet d’Institut de la vigne et du vin de Shanghai pourrait jouer un rôle moteur dans cette entreprise, relayé par les réseaux professionnels et culturels. La culture est souvent mise de côté, mais elle peut apporter consistance et crédit à des projets économiques.

 

Les débuts du marché du vin sur le marché japonais présentent quelques similarités avec ce qu’est la consommation de vin français en Chine encore à ce jour, notamment la prédominance du vin rouge de Bordeaux. Aujourd’hui, les choses ont beaucoup changé, le nombre d’amateurs a crû en même temps que s’est élargie la palette de l’offre française et que les prix ont grimpé… Récemment, j’ai pu discuter avec des clients d’un restaurant de sushi de Kyoto dont le patron a été formé en France à la sommellerie : ils étaient membres d’un cercle d’amateurs de Bourgogne blanc qui tenait sa réunion annuelle autour d’une dizaine de grands et premiers crus, dont un Corton-Charlemagne 1974, le tout accompagné de sushis.

Je ne sais si une telle étude a déjà été menée, mais il y a peut-être intérêt à se pencher sur l’expérience japonaise pour voir dans quelle mesure elle pourrait éclairer le marché chinois actuel et orienter un positionnement.

 

7- la Chine attire t elle encore les entreprises françaises ?

Du poste d’observation de la société chinoise qui est le mien, je constate l’attrait des Chinois pour un certain savoir-faire français. En effet, les ouvrages que me commandent les partenaires chinois de notre bibliothèque sont révélateurs de cet intérêt. Ils portent sur les technologies de pointe, l’industrie du luxe, le recyclage des déchets, la construction automobile, les trains à grande vitesse, le nucléaire civile, l’aérospatial, l’aéronautique, la fabrication des biens de haut de gamme, l’industrie manufacturière mais aussi l’artisanat, la gastronomie et le vin.

Autant de secteurs sophistiqués ou à haute valeur ajoutée dans lesquels la France est reconnue pour son dynamisme.

On sent une envie d’acquérir des connaissances et des compétences aujourd’hui nécessaires, au stade de transformation auquel la Chine est parvenue dans son processus de mutation économique entrepris il y a plusieurs décennies. Son économie est en train d’opérer un nouveau changement : le marché de la qualité concurrence celui de la quantité. Sa société évolue également : essor de la classe moyenne, vieillissement de la population, souci de sécurité alimentaire, environnementale, etc. Tout cela appelle des innovations techniques (dans le domaine de l’agriculture, de l’élevage, etc.) mais aussi dans les services (liés aux personnes âgées par exemple).

Autant de changements qui nécessitent un savoir-faire que la France maîtrise et dont la Chine a besoin. Pour revenir à votre question, il serait dommage que les entreprises françaises ne fassent pas valoir leurs atouts et boudent ce marché chinois qui constitue à la fois une opportunité et un défi majeur.

 

8- Quels sont les problèmes majeurs des sociétés Françaises par rapport au marché chinois

A mon sens, la clé de la réussite réside dans une compréhension de la Chine, qu’il s’agisse de son histoire, de sa culture ou encore du mode de penser de ses habitants. Cette intelligence du terrain permet une appréhension juste du monde chinois et évite les écueils d’une lecture franco-française de son marché. Cette clé devrait ouvrir de nombreuses portes et augmenter la capacité d’adaptation nécessaire au succès en Chine. La réactivité est en effet essentielle pour réussir dans un environnement changeant où la rapidité d’exécution prime souvent.

Il y a certes d’autres problèmes, comme la protection de la propriété intellectuelle ou industrielle, mais ils découlent, je crois, de ce défaut de compréhension initial.

Il est donc important que les sociétés françaises s’entourent de spécialistes et mettent à profit leur expertise de la Chine.

 

Merci pour ces réponses.

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